Le midnight movie n’est pas né d’hier mais il a connu divers avatars. Dès les années 30, certaines salles projetaient à minuit des films à petit budget, essentiellement comme spectacles itinérants. Dans les années 50, des chaînes de télévision locales programmaient des films de genre en fin de soirée afin de soutenir la distribution des films d’exploitation. D’où le terme de “midnight movie”.
Passons pour le moment les années 60 pour nous rendre à l’époque légendaire du midnight movie, celle que tous voudraient avoir vécue : les années 70. En ville, art house, particulièrement à New York, commencent à programmer des films zarbis à minuit. L’Elgin Theatre présente la première d’El Topo de Jodorowsky, d’emblée un succès, qui reste à l’affiche neuf mois, suivi de Targets de Peter Bogdanovich’s (dernier rôle de Boris Karloff), distribué directement dans le circuit du midnight movie, lui aussi un triomphe immédiat.
Parmi les nombreux films qui se font une réputation underground et des adeptes aux cinémas Elgin, Waverly, and Bijour : La nuit des morts vivants de Romero, Pink Flamingos de John Waters, Plan Nine from Outer Space de Ed Wood, Eraserhead de David Lynch et un ressortie de Freaks de Tod Browning (1932).
Aujourd’hui, nombre de ces films ont gagné leur place au soleil grâce à des institutions prestigieuses comme le Museum of Modern Art de New York et le National Film Register de la Bibliothèque du Congrès. Mais, à l’époque, ils étaient synonymes de sous-cultures abjectes et de critiques désastreuses. Stuart Samuals, qui a documenté cette période exceptionnelle de l’histoire du cinéma dans son film Midnight Movies: From the Margins to the Mainstream, affirme que, pour aspirer au titre de véritable midnight movie, un film doit avoir une vision personnelle, procéder à une critique radicale de la société et avoir été découvert par le public.
Dans les années 70, les projections des midnight movies sont des événements très collectifs et interactifs, qui marchent sur le bouche à oreille plutôt que sur la publicité. Les projections répétées engendrent un socle solide d’adeptes : John Lennon a vu El Topo quatre fois (son manager finit par en acheter les droits) et certains fans ont vu leurs films favoris si souvent qu’ils en connaissaient les dialogues par cœur. Les midnight movies piétinent les tabous en place en abordant, souvent avec humour, l’inceste, la perversion sexuelle, le bondage, l’homosexualité et la drogue.
Le mouvement est alimenté par l’avant-garde newyorkaise et le radicalisme estudiantin des années 1960, et compte, parmi ses fans, un mélange coloré de disciples de la contre-culture hippie, de freaks, d’artistes, de gays et de travestis, et j’en passe. Beaucoup s’habillent comme les personnages du film, beaucoup sont défoncés, certains déclament eux-mêmes le texte des acteurs, chantent les chansons du film ; lors de la scène du mariage du The Rocky Horror Picture Show, ils jettent du riz. Tous les conformistes (les squares) venus jeter un œil finissent par se joindre à ce joyeux délire.
Dans son âge d’or des années 70, le circuit du midnight movie circuit était dynamique. Hormis la projection des premières de films d’avant-garde (Pink Famingos, The White Whore, Elevator Girls in Bondage), il avait assez de force pour ressusciter des bides critiques et financiers pour en faire des hits cultes et lucratifs. Quand Roger Corman sortit le polar jamaïcain The Harder They Come sur le circuit traditionnel, le film, après quelques maigres critiques, tomba dans l’oubli. Quelques mois plus tard, il ressuscita sur le circuit du midnight movie où il fut diffusé six ans durant et joua un rôle important dans la popularisation du reggae en Amérique.
The Rocky Horror Picture Show fut un échec lors de sa sortie dans une salle traditionnelle en 1975. Mais il réapparut sur le circuit du midnight circuit où il remporta un immense succès avant de devenir une sensation nationale. C’est ironiquement son succès qui marqua la fin d’une époque. Les midnight movies, venus des marges, glissaient vers la culture grand public. Ils se multipliaient comme des champignons dans les salles de banlieues américaines, pâles imitations du truc authentique. En 1979, la Fox avait 200 copies de The Rocky Horror Picture Show en circulation. Le VCR et le câble précipitèrent l’agonie des salles d’art et d’essai qui projetaient ces films osés à leur belle époque; la plupart finirent par se convertir en salles traditionnelles de spectacle ou de cinéma.
Revenons maintenant aux années 60, qui semblent avoir été occultées dans l’histoire des midnight movies. Rien de vraiment subversif ne se passait alors mais les midnight movies fleurissaient dans des salles pionnières comme l’Inwood de Dallas (Texas) et bien d’autres certainement.
L’Inwood programmait régulièrement des midnight movies depuis au moins 1959, surtout pour les lycéens. Ces films étaient pépères par rapport à ceux des années 70 mais il y avait quand même toujours le même flic à l’Inwood, juste au cas où. Appelé Knickerbocker, il avait pour mission d’éliminer les voyous avec des crans d’arrêt, de veiller à la modération de la consommation d’alcool des mineurs et de confisquer les images pornographiques qui circulaient.
En fait, l’élément le plus subversif était l’agent Knickerbocker lui-même. Il racontait des histoires sordides sur la pègre de Dallas, prenait plaisir à révéler les grands ratages de la police de Dallas commodément passés sous silence, et montrait les images pornographiques confisquées à toutes les filles présentes. Il avait toujours une nuée d’écolières autour de lui. Il aurait été très bien dans un polar d’Ed McBain.
À cette époque, la banlieue ne connaissait pas la drogue : rien de plus fort que la bière (et les images pornographiques) ne circulaient. Mais, ce qui était bien c’est que le midnight movie était l’endroit où les enseignants et les parents ne venaient pas (les adultes avait une confiance totale dans leurs cinémas). On pouvait donc y côtoyer les pseudos James Dean “indésirables” que les parents n’appréciaient pas (quelques “mauvais garçons” arrivaient à entrer) et flirter amoureusement dans les coins sombres et fastueux du deuxième balcon.
Les midnight movies étaient des événements bruyants, et je ne peux pas dire qu’ils étaient interactifs au sens des années 1970, mais nous nous éclations avec des trucs comme The Thing, The Blob, It Came from Outer Space, War of the Worlds, Creature of the Black Lagoon et d’autres encore, bien avant qu’on sache ce qu’était un remake. Les filles prenaient leur pied en hurlant avec la femme terrifiée juste avant qu’elle ne succombe au Blob visqueux.
Auteur : Deep Web Wu
(Consuelo Holtzer)
Sources : Wikipedia
“A new time for midnight movies”, Lewis Beale in The New York Times, 22 juin, 2006;
“The Weirdo Element”, John Patterson in The Guardian, 2 mars 2007;
Forum at http://absoluteastronomy.com/topics/Midnight_movies
Et mon expérience personnelle, relatée sans fard, mais sans non plus les épisodes chauds.